J'ai bien lu toutes vos interventions. Votre émotion est sensible bien compréhensible, teintée d'une sourde colère justifiée. Le débat est loin d'être clos quant aux causes de l'effondrement du nombre de musiques militaires et plus particulièrement des fanfares. Il est cependant intéressant de parcourir un peu d'Histoire pour tenter de comprendre.
Au 17e siècle, les formations symphoniques, dans le domaine dit "classique", se limitaient à une quinzaines d'exécutants, au plus. Les musiques militaires, telles que nous les avons connues ou les connaissons, n'existaient pas. Quelques hautbois et trompettes et tambours interprétaient des airs souvent issus de la tradition populaire. Rares étaient les compositeurs de renom qui se risquaient dans le "militaire".
Beethoven est l'un des premiers grands compositeurs à écrire spécifiquement pour les musiques militaires (entre 1809 et 1820).
C'est au 19e siècle que les formations symphoniques grandissent, surtout grâce à l'amélioration des instruments de musique et la construction de grandes salles de concert. La "Symphonie des Mille" de Malher symbolise cette explosion de l'orchestre et des chœurs. En France, Berlioz exige plusieurs chœurs et orchestres pour son "Requiem".
On cite le nombre de plusieurs centaines de trompettes lors du 1er Carrousel à Saumur en 1828.
L'apogée des grandes formations de musiques militaires se situe de la fin du 19e siècle aux années 50 du 20e siècle.
Pour se consoler, force est de constater que la disparition des fanfares et harmonies militaires a commencé bien avant l'émergence des médias actuels qui, c'est vrai, n'ont rien arrangé.
En 1906, une fanfare de trompettes à cheval précède le défilé de la Mi-Carême de Cholet : "Les Trompettes des Gardes Françaises" - « Habits bleu-roi, perruques à catogans, housses lamées d’argent ». Qu'elle soit d'origine militaire ou civile, cette fanfare ne reparaît plus après la 1ère Guerre Mondiale.
Le 77ème Régiment d'Infanterie, installé à Cholet, avait une musique imposante. Avec sa dissolution, en 1924, cette musique militaire disparut également.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, la "Batterie-Fanfare des Anciens Militaires d'Angers" s'illustra dans de nombreuses fêtes locales. Elle s'éteignit au début des années 60.
Les grandes entreprises "paternalistes" des 19e et 20e siècles avaient presque toutes leur harmonie-fanfare. Longtemps, les Tanneries angevines de Seiches-sur-le-Loir eurent leur musique présente dans toutes les grandes manifestations de la région, plus particulièrement sportives, (jusqu'à la fin des année 50). Ainsi, les jeunes gens qui y participaient avaient-ils, si l'on peut dire, le pied à l'étrier, pour intégrer une musique militaire au moment de leur Service. Retournés à la vie civile, ils continuaient de participer à la vie des formations musicales municipales, donnant ainsi à leur entourage l'exemple de leur longévité musicale, tout en menant leur vie professionnelle. Ces formations musicales n'ont pas survécu au déclin de ces entreprises.
Un cas parmi beaucoup d'autres, Maxime Mabileau, Saumurois né en 1880, musicien amateur de l'âge de 11 ans jusqu'à ses derniers jours à 97 ans, qui n'a jamais manqué une répétition, alors que son temps de travail dépassait largement les 35 heures hebdomadaires ! un record difficile à battre…
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]En 1948, mon père, élève à l'école de musique de Saumur, intégra la Musique du Génie à Metz à l'occasion de son service militaire (clarinette et saxophone). Ses musiciens-soldats participèrent activement au renouveau de l'opéra de la ville. C'est ainsi que beaucoup d'entre eux renforcèrent les chœurs pour interpréter des œuvres majeures du répertoire dont Faust.
Ces disparitions successives de formations musicales n'ont alerté personne. La culture, surtout quand elle est populaire, n'a jamais fait bon ménage avec les technocrates et la politique.
Aujourd'hui, l'hémorragie atteint aussi les formations civiles : Le Réveil saumurois, né au moment de la Libération de Saumur en 1944, et de toutes les fêtes depuis cette année-là, a subitement été supprimé au début de 2014, dans l'indifférence générale. Il s'agissait d'une "clique" : trompettes, clairons, percussions, qui avaient pris le relais de la défunte Fanfare de l'École de Cavalerie pour les cérémonies du 14 Juillet, sonnant avec fougue les notes de "À l'Étendard !".
Compte tenu du fait que dans de nombreux pays d'Europe, on assiste à la même défaillance et que les Institutions européennes, promptes à se pencher sur la dimension des cuvettes de WC, le sont beaucoup moins en ce qui concerne les pratiques culturelles et le maintien du patrimoine et du répertoire musical des formations militaires ou civiles, - les récentes menaces contre les artistes bénévoles le démontrent trop - on ne peut rien attendre de ce côté-là, ni de l'Unesco, ni des gouvernements. Par ailleurs, on ne croit toujours pas que l'art et la culture peuvent créer une dynamique de création d'emplois, surtout quand il s'agit d'un art considéré comme mineur par les élites.
Pour avoir enseigné la musique à l'école primaire pendant près de 40 ans, hors des normes établies, donc sans aucune reconnaissance officielle, j'ai bien compris qu'il n'existe pas de groupe social, de population ou de nation plus à l'aise qu'un autre dans la pratique musicale. L'enthousiasme qui découle d'une pédagogie motivante est une des clés du succès. Et j'ai pu constater que les élèves qui fréquentent les écoles de musique actuelles ne sont pas forcément les plus ouverts. Pour l'instant, il ne faut pas trop compter sur l'Éducation Nationale pour aller dans le bon sens.
En 2005, les Britanniques fêtèrent avec faste l'anniversaire de la Bataille de Trafalgar. Dans le même temps, les Français ne firent qu'une légère allusion à la Victoire d'Austerlitz. En effet, en France, l'enseignement de l'Histoire n'est plus une priorité. L'ignorance des gouvernés permet aux gouvernants de mieux les contrôler et les soumettre. D'une manière générale, la France ne montre aucune fierté à évoquer son passé. (Les films "historiques" français le prouvent. L'Ina vient de mettre en ligne un film de télévision qui fit scandale dans les années 70.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Quand on oublie ou méprise ses racines, on ne peut pas espérer avoir un brillant avenir. C'est bien le cas actuellement.
Alors, faut-il se laisser aller au pessimisme sans espoir de retour ?
Paradoxalement, les Festivals de musiques militaires se sont multipliés depuis une vingtaine d'années, souvent inspirés par les représentations et mouvements d'ensembles des formations anglo-saxonnes, sortes de lendits à l'américaine. C'est dans ces circonstances, indispensables pour la survie de musiques encore en activité, qu'il faut peut-être oser réveiller les consciences. Une identité européenne et plus spécifiquement française est à réinventer dans ce domaine (comme dans beaucoup d'autres…) ; un tremplin pour rebondir ?
En ce qui concerne la Fanfare du 8ème Hussards d'Altkirch, Saumur pourrait en effet l'accueillir avec fierté. Mais je ne suis pas décideur et ne peux que transmettre ce vœu au Président du Comité des Fêtes de Saumur. Le mieux serait de s'en remettre à lui directement par l'intermédiaire de la page "contact" du site du Comité des Fêtes de Saumur :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ou à son adresse personnelle (que je peux transmettre par mail).
Merci pour cette fidélité aux valeurs esthétiques d'un patrimoine en péril.